
Baromètre 2025 sur la performance économique et sociale de l’innovation
France
Au lendemain de la chute du gouvernement, France Digitale et EY publient l'édition 2025 de leur baromètre annuel sur la santé économique et sociale des startups françaises, des VCs et - pour la première fois cette année - des structures d’accompagnement des startups. Réalisé auprès de plus de 500 startups et 40 fonds de capital-risque, il met en lumière un écosystème qui, malgré le ralentissement des levées de fonds et un contexte politique et économique incertain, continue de créer des emplois et de croître. Mais cette année, il alerte sur les risques qu’une instabilité politique persistante ferait peser sur la compétitivité technologique de la France.
En 2025, l’écosystème continue de croître, mais à un rythme plus ralenti
En 2025, la France compte 16 200 startups : c’est 1 200 supplémentaires par rapport à l’an dernier, signe que le nombre de créations d’entreprises reste supérieur aux fermetures. Cette tendance est toutefois en baisse par rapport à la période 2023-2024, qui avait vu la création nette de 3 500 startups en un an. Par ailleurs, une donnée retient l’attention : dans certaines régions, le nombre de startups diminue. C’est notamment le cas en Île-de-France, qui accuse une baisse nette de 200 startups en un an.
Sur le front de l’emploi, les startups françaises représentent 1,450 million d’emplois (dont 500 000 emplois internes). C’est une progression de 11,5 % en un an, signe de la solidité de l’écosystème et de sa capacité à se développer dans un contexte économique et (géo)politique tendu. Le rythme de création d’emplois est toutefois inférieur à la période 2023-2024, qui avait vu les chiffres de l’emploi augmenter de 18 %. Si on regarde l’emploi interne (au sein des startups), l’écosystème a surpassé ses propres prévisions, avec 50 000 recrutements réalisés en un an, soit 10 000 de plus que l’objectif initial. Quant à l’emploi direct et indirect, bien qu’en augmentation de 11,7 % sur un an, il ralentit fortement par rapport à la période précédente (+21 %), signe que les startups ne sont pas épargnées par le ralentissement économique et la baisse de la demande.
Côté croissance, le chiffre d’affaires consolidé mondial moyen des startups françaises interrogées a progressé de près de 16 % en un an. La dynamique de croissance est principalement portée par les marchés internationaux, en particulier l’Europe, qui, dans le contexte politique et économique national actuel, offre un terrain de jeu avec davantage de potentiel que la France et une moindre exposition aux mesures de rétorsion douanière américaines.
Le décrochage des levées de fonds au premier semestre
Le seul vrai décrochage de l’écosystème concerne les levées de fonds au premier semestre 2025. Après plusieurs années de croissance, le capital-risque en France a connu un net ralentissement depuis le début de l’année, les startups françaises ayant levé près de 2,8 Md€ en six mois. C’est une baisse de 35 % en valeur et de 24 % en volume par rapport à la même période l’an dernier.
Or, lever des fonds reste une option prioritaire et nécessaire pour les jeunes startups. En effet, le recours à la dette bancaire ou la recherche de consolidation ne deviennent des options privilégiées que pour les startups à partir de la série B, plus solides et plus rentables.
En pratique, les investisseurs et les structures d’accompagnement des startups en constatent d’ores et déjà les conséquences : la baisse de qualité du deal flow, en particulier des dossiers des jeunes startups qui cherchent des financements en seed ou série A. Retour de bâton à la suite des années d’euphorie de la startup nation qui ont vu de nombreuses startups se créer et être financées, ou véritable tendance ? Si elle venait à se confirmer dans les prochaines années, elle risquerait d’engager un réel ralentissement de la capacité d’innovation de la France.
« Dans un contexte économique et politique marqué par une incertitude croissante, la France arrive toujours à attirer de nouveaux talents mais a rencontré de grandes difficultés dans les levées de fonds au cours du premier semestre. Néanmoins, certains secteurs, tels que les logiciels, montrent une certaine résilience et continuent de séduire les investisseurs malgré un repli général. La faculté des entreprises à innover et à s’adapter, en particulier dans les domaines comme l’intelligence artificielle, pourrait transformer profondément le paysage entrepreneurial français dans les années à venir » analyse Franck Sebag, associé EY.
Un écosystème inquiet de l’instabilité politique nationale
L’ensemble de l’écosystème (startups, scale-ups, VC, accompagnateurs) jugeait, dès le 30 juin dernier, le contexte économique et politique national comme particulièrement risqué dans les 12 prochains mois. Leurs principales craintes sont claires : l’instabilité politique, qui s’avère être particulièrement d’actualité en cette rentrée, et des arbitrages défavorables dans le prochain projet de loi de finances.
Ces craintes sont d’autant plus élevées que l’écosystème reste exposé aux financements publics, qu’il s’agisse d’investissements ou de chiffre d’affaires. À titre d’exemple :
- les subventions publiques sont la première ressource des structures d’accompagnement des startups en France, représentant près de 33 % de leurs ressources totales ;
- les fonds publics représentent près de 20 % des actifs sous gestion des VCs français ;
- les acheteurs publics (État, collectivités, fonction publique hospitalière) représentent 11 % du chiffre d’affaires des startups.
La perspective de négociations difficiles et plus généralement le flou entourant le prochain projet de loi de finances renforce les inquiétudes. Moins de six mois après l’adoption de la loi de finances pour 2025, les startups témoignent de l’impact lourd et immédiat des coupes dans plusieurs dispositifs de soutien à l’innovation, en particulier le Crédit impôt innovation, le Crédit impôt recherche et le Statut JEI : perte de trésorerie, réduction des investissements et gel des embauches représentent les principaux ajustements des startups face à cette nouvelle donne fiscale. Les perspectives sur l’emploi dans les 12 prochains mois risquent d’être tendues : 14 % des startups envisagent de réduire leur masse salariale (contre 5 % l’an dernier).
Le trouble face à la situation géopolitique et économique internationale
Au cours des six derniers mois, le contexte géopolitique et économique a été particulièrement instable et source d’incertitudes : l’écosystème a attendu un accord sur les droits de douane, qui risque d’être rendu caduque par l’offensive de Donald Trump sur les réglementations européennes sur les marchés numériques. L’attitude du président des États-Unis place l’écosystème face à un dilemme : d’un côté, les entreprises souhaitent maintenir l’accès de leurs produits et services au marché américain, et bénéficier de solutions technologiques – notamment américaines – au coût le plus faible possible. Quant aux investisseurs, ils s’emploient à maintenir l’attractivité de la France et de l’Europe face à la concurrence étrangère et les investisseurs étrangers, qui restent minoritaires (ils représentent moins de 17 % des actifs sous gestion des VC français). D’un autre côté, il est dans l’intérêt des entreprises européennes de rétablir des conditions de marché équitables face à l’hégémonie des solutions technologiques américaines, garanties notamment par le DMA. Trouver un équilibre est particulièrement complexe !
Autre élément de la nouvelle donne géopolitique internationale, le renforcement de la défense en Europe, annoncé en début d’année, tarde à avoir des conséquences économiques concrètes. À noter toutefois que 13 % des VCs français comptent désormais une thèse d’investissement dans la défense.
Une source d’espoir : au cours des 12 derniers mois, l’Europe est restée unie face au risque de chaos et les décideurs publics n’ont jamais été aussi motivés à instaurer une préférence européenne dans la commande publique, à mobiliser de l’épargne privée pour financer l’économie réelle, ou à harmoniser le droit européen pour faciliter l’accès au marché pour nos entreprises.
Maya Noël, directrice générale de France Digitale, déclare : « Notre baromètre le montre : malgré les turbulences, le secteur de l’innovation continue de créer de l’emploi et de la valeur. Mais cette résilience n’est pas infinie. La chute du gouvernement hier envoie un signal d’incertitude supplémentaire à un secteur qui a besoin de visibilité et de stabilité pour investir, recruter et innover. On ne recrute pas sereinement quand on ne sait pas où l’on va, on ne se développe pas dans la durée quand les règles changent sans cesse. Si la France veut rester compétitive face aux États-Unis et à la Chine, elle doit offrir un cadre politique et économique stable. »